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Lauréat·e·s du prix Jean-Hippolyte Guignard
2023 – Agilé Gbindoun
Prix d'encouragement
Née en 1968 au Bénin, Agilé Gbindoun vit à Lausanne. Elle est autodidacte. Sa rencontre avec le Docteur Gérard Salem et le Professeur René Berger l’ont encouragée dans sa démarche artistique personnelle. Elle est exposée en Suisse romande, à la Galerie Edouard Roch (Ballens), à la Galerie Bora Bora (Genève) et à la Galerie du Château (Renens). La Galerie Arnaud Lefebvre (Paris), qui l’avait déjà exposée en 2022, lui consacre une exposition personnelle « Qui suis-je ? » en septembre 2023 (voir agenda). Dossier de presse
D’une extrême délicatesse, Agilé est discrète sur son parcours. Pourtant, on devine des blessures intimes hurlées dans son travail et que l’on voudrait fermées. Il n’est qu’à lire les titres de ses expositions : « Qui suis-je ? », « Les sept paroles du Christ », « Les Scarifications », « Portrait de femmes » ou encore « Dans de beaux draps et « Apparitions », événement présenté à l’église Saint-François, à Lausanne, en 2022. Sa peinture lui est dictée par une force extérieure qui la mène à pratiquer l’écriture et le dessin automatiques.
La Fondation Guignard a souhaité lui remettre un prix d’encouragement.
Autoportrait I
Encre de chine et pastel à l’huile sur papier Canson Héritage GS, 76 x 56 cm, 2022
Autoportrait II
Encre de chine et pastel à l’huile sur papier Canson Héritage GS, 76 x 56 cm, 2022
Agile III
Encre de chine et pastel à l’huile sur papier Canson Héritage GS, 76 x 56 cm, 2022
Préface à l’exposition d’Agilé Gbindoun à la galerie Arnaud Lefebvre, Paris, septembre 2023
Agilé Gbindoun Qui suis-je ?
Cette question existentielle, quasiment obsessionnelle dans l’œuvre d’Agilé Gbindoun, nous concerne tous ; elle suscite immédiatement une réaction d’empathie et, paradoxalement, d’anonymat, pour ce qu’elle efface les délimitations individuelles. Et si Agilé a choisi la peinture, c’est justement parce qu’il s’agit d’une expression beaucoup plus affranchie que le langage verbal du découpage objectif, plus appropriée par conséquent à notre réalité vécue, matérielle et spirituelle.
Nous sommes trop dépendants du vocabulaire, au point de ne prendre en compte que ce qui est validé par les mots. « L’homme parle trop, il devrait dessiner davantage », disait Goethe –notons que, en application de la parole biblique « … et le Verbe s’est fait chair », Agilé Gbindoun convertit volontiers des inscriptions sur ses tissus en effusions graphiques qui les rendent dès lors illisibles. Le fait est que la peinture, dans les meilleurs des cas, réactive ce qui se passe au cœur de la perception, à savoir les états diffus, les ambiances indistinctes, les glissements de l’attention à la rêverie, du présent à la réminiscence, de l’actuel au virtuel.
C’est donc à moi personnellement qu’Agilé repose la question par le fait de la peindre : qui suis-je ? Et déjà, où suis-je, où me situé-je en tant que personne? Dans le cœur, ce muscle sanguinolent ? Dans le cerveau, cette masse gélatineuse ? Dans le corps, ongles et cheveux compris ? Ou faut-il se rabattre avec les psychanalystes sur la définition que les Italiens donnent du macaroni : un trou avec de la pâte autour ? Le Moi m’as-tu-vu, l’âme des croyants, le Je-est-un autre des cultivés, ne sont jamais que des constructions imaginaires qui diffèrent l’insoutenable révélation du « lointain intérieur ».
Agilé, elle, s’y risque, à la faveur d’une sorte de va-et-vient métaphysique, optiquement déjà, en nous annonçant des ensembles formels relativement prégnants, mais qui, au fur et à mesure que nous nous rapprochons, se dissipent en particules fines et en espaces homogènes englobants ; sensuellement, par un va-et-vient entre des stimuli visuels, rythmiques, acoustiques, tactiles, et des papillotements qu’on pourrait qualifier de gustatifs ; mélodiquement, par une anamnèse qui nous conduit des espaces quantiques à ce qui pourrait être le champ visuel d’un nouveau-né ; philosophiquement, par une oscillation entre les deux infinis, cosmique et mental…
Sans doute ses vicissitudes biographiques, le porte-à-faux entre deux cultures, le traumatisme de l’émigration, l’ont-ils prédisposée à une telle labilité existentielle, ainsi qu’à une intelligence visuelle qui déroge opportunément à notre logocentrisme pathologique.
Michel Thévoz