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Lauréat·e·s du prix Jean-Hippolyte Guignard
2022- Valérie Masson
Valérie Masson
La Fondation Guignard décerne un prix à l'artiste Valérie Masson. Elle salue et récompense un travail artistique original, intense et persévérant, resté jusqu’ici très discret. Elle entend donner à ce prix la valeur symbolique d’un encouragement pour l’avenir.
©Mario Del Curto
La nécessité du dessin
Valérie Masson vit à Lausanne dans un petit appartement de plain-pied où la porte-fenêtre ouvre sur des arbres. Son espace est saturé de piles de dessins et les murs de graffitis, parfois jusqu’au plafond. A l’adolescence, elle a été diagnostiquée schizophrène.
« J’ai toujours dessiné. Le dessin et l’écriture sont apparus dans le ventre de ma mère. Pour me sentir bien, j’ai besoin de tenir un stylo. Enfant, j’appelais ça du dessin, mais plus maintenant. Le papier et les dessins sont des prières qui parlent aux autres et voyagent. Mon rôle est d’être une clé entre deux mondes. Le dessin est un vecteur potentiel pour des esprits qui demandent à parler à des gens ou souhaitent juste être là. Pourquoi une âme vient-elle et pas une autre ? Je n’ai pas de réponse. Je vois des présences et des esprits. Des morts parlent à travers moi pour communiquer avec quelqu’un de vivant. Le cheminement a été laborieux car j’ignorais tout. Dessiner m’épuise, mais le plaisir est monumental. J’aimerais que mes dessins soient plus simples, accessibles. Serait-ce plus reposant ? Je ne suis pas sûre d’aimer le repos, ni être tranquille. Je souhaite juste me sortir du mental. On me dit que je parviens à faire un oiseau, un poisson en trois traits. Mais les avis sur mon dessin m’importent peu. La pile de dessins est le poumon de mon appartement, mais je m’en sépare facilement car je n’y suis pas attachée. C’est le dessin qui choisit son destinataire. J’aurais même tendance à leur dire : «Allez-y, faites votre travail ! J’ai fait le mien et le vôtre est de partir. » S’ils restent, c’est qu’il y a une raison. Est-ce moi qui les retiens ? Il doivent partir, sinon pour qui et quoi les ai-je faits ? Pas pour moi.
J’ai beaucoup lu, mais les médicaments m’empêchent de me concentrer. Alors je m’ennuie par manque de nourriture intellectuelle. J’écris aussi. L’écriture me fascine car je perds la mémoire. J’oublie tout et vis dans l’instant. Mon cerveau reçoit quantité d’informations que je ne parviens pas à conserver. J’essaye pourtant de travailler ma mémoire. J’écris ce que me dictent mes guides, les anges. Je disais à ma psychiatre : Quand on a une maladie de malade, on a des anges de malade, costauds. Désormais, j’écris aussi pour moi, afin de me retrouver, et pour pouvoir relire les informations de là-bas pour ne pas les oublier car elles sont précieuses. Elles sont comme des révélations. Je suis constamment guidée.
Il arrive que la maladie prend le dessus et il est nécessaire de m’hospitaliser. Soignée et bien accompagnée, l’idée de guérir me rend triste. Si, à 45 ans, je me réveille d’une vie de psychoses, le choc sera-t-il vivable ? Je crains de m’ennuyer – c’est déjà le cas -, de n’avoir plus rien à dire et de ne pas savoir m’épanouir. J’oscille entre l’envie de guérir et celle de rester dans la maladie car c’est une chance, cette maladie ! Lorsque je décompense, mon esprit va très vite et je vis des expériences extraordinaires de différentes formes d’existence. Je les nomme initiations spirituelles et cosmiques. Pourtant, mon extrême sensibilité m’a abimée.
Parfois, j’aimerais partir, aller au bord de la mer et parler aux poissons. Je rigole ! J’ai parlé aux poissons toute ma vie ! »
©Mario Del Curto
©Mario Del Curto